mercredi 28 août 2019

"LA LONGUE ROUTE"

LA SALAMANDRE 
ET LA LONGUE ROUTE.




N' allez surtout pas croire à une prétention de ma part,
 à comparer La Salamandre avec Joshua, 
ainsi que l'illustre, et ô combien sympathique, 
Bernard Moitessier, à moi-même.

Néanmoins, dès le départ,
je savais que ce trajet retour des Canaries,
via Madère et les Açores,
allait constituer pour La Salamandre 
et son modeste équipage,
un défit de taille.

Bien sûr,  nous n'allions pas enchaîner les trois caps,
( Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn ),
mais, pour nous, modestes plaisanciers méditerranéens,
c'était, il faut bien le dire sans aucune modestie,
nous avaler les Canaries, Madère,
puis Madère les Açores,
et, pour finir, cerise sur le gâteau,
( grosse cerise ) 
820 Milles ( théoriques ),
pour rallier Ponta Delgado, à Sao Miguel,
au Portugal.



Donc, rendons à César et à Bernard Moitessier 
ce qui leur appartiennent,
et acceptons que, toutes proportions gardées,
ce fut pour La Salamandre, également, " une longue route "
dont nous ne sommes pas peu fiers.

Je vais vous narrer le retour des Açores
vers le continent portugais.

Pour une longue route, ce fût une longue route.
Nous avons parcouru 1005 Milles
( soit 1861 Km ),
presque deux jours de plus de ce qui pouvait être prévu,
sans les aléas de la météo.

Adieux et embrassades sur le ponton G
de la Marina, où nous laissons Véronique et Christian.

Lorsque nous sommes partis, 
ce Jeudi 15 Août, à 19 h 30,
un léger vent d'Ouest faisait flotter les pavillons,
et, pour longer Sao Miguel, ce pouvait paraître idéal.
Vent portant, pleine lune . . .
et puis nous évitions un appareillage le Vendredi.
( les puristes de la superstition apprécieront ! )

Nous profitons d'une nuit côtière, 
éclairée par la pleine lune,
nous déhalant sous spi à la vitesse prodigieuse
de 3, 5 Nœuds ( 6, 5 Km/h )
sur une mer lisse,
où nous apprécions les facéties des dauphins
à moins d'un mètre de la carène.

Nuit idéale pour s'amariner
et résorber un quelconque stress
qui aurait pu nous effleurer 
à l’idée de la traversée.

No stress, OK !
Que d’anglicismes indélicats pour un marin
devant entretenir une haine (factice) 
envers la perfide Albion.

Pourtant, pas évident, le " No stress ",
car il n'est pas question de compter
sur le moteur salvateur,
n'ayant pas des réserves de gazole suffisantes. 

Quid d'une période de pétole ?

Le temps est souvent long
lorsqu'on avance sur un cap donné,
mais quand, tout à coup,
il n'y a plus de vent,
les questions s’enchaînent avec des " si ? " 
et des " si ?? " . . .

Lorsque je dis " plus de vent ",
c'est: pas de vent du tout !

Restera-t-il assez de gazole pour rallier le point d'arrivée
et entrer dans le port ?

C'est pour ces raisons, que, dès l'achat de La Salamandre,
je l'ai équipée d'un spi asymétrique 
pouvant être porté sans grand vent,
dès 70 - 80 ° du vent.

Le spi a été plus qu'utile pour notre retour des Açores.

Au matin du Vendredi 16 Août, 
nous ne sommes qu'à l'extrême Est de Sao Miguel.
Vent quasi nul.
Sous spi, nous n’atteignons que difficilement les 2 Nœuds.

Nous louvoyons, à la recherche de la moindre risée,
et ce n'est que vers midi que le vent se lève,
Ouest, portant La Salamandre 
à  la vitesse de 4, 5 Nœuds ( 8, 3 Km/h ),
légèrement NE.

Pourquoi NE, alors que le cap est 90 °,
c'est à dire plein Est, me direz-vous ? ? 

Et bien, parce que vous n'avez sous les yeux
que la carte des GRIBS,
enregistrée le matin du départ, sur 10 jours.

[ GRIBS: fichiers météo relativement justes. ]

On peut vérifier que les dépressions
et l'anticyclone seront bien présents,
mais qu'ils restent fluctuants.

Par exemple, le Lundi, ils sont là,
le Lundi soir, un peu plus haut,
le Mardi, plus à l'Est,
le Mardi soir, plus au Sud, etc . . . etc . . .

Sur de courtes distances, les prévisions sont justes,
mais sur plusieurs jours,
elles sont . . . juste pas au bon endroit !
Ce qui change tout !

C'est pour cette raison, qu'aujourd'hui,
nombre de plaisanciers font appel à des " routeurs "
qui, à terre, surveillent la météo toutes les trois heures
pour en informer les demandeurs.

Dès le Samedi matin, je constate une légère différence
entre " le terrain ", la mer, la direction du vent
et les prévisions météo.

Déjà, dès le départ, je savais qu'il fallait faire cap NE,
pour ensuite attraper du vent de Nord qui ferait
naviguer vent de travers vers le Portugal.

Je savais aussi, et c'est la raison de notre date de départ,
que nous n'aurions pas de vents dépassant les 25 Nœuds,
( 46 Km/h ), privilégiant le confort à la vitesse.

Seulement, ce qui n'était pas prévu, c'est ce vent,
plein Est, qui nous oblige maintenant à tirer 
de grands bords, au près-serré, vers le NNE,
vers l'Irlande, ou vers vers le SSE, vers le Maroc.

C'est là, dès le Dimanche 18 Août,
que nous parcourons tous ces milles supplémentaires. 

Alors que les distances s'allongent,
le vent forcit, pour atteindre les 28 / 29 Nœuds 
( 54 Km/h ) au près-serré.
Je suis obligé d'abattre un peu plus au Sud,
puis un peu plus au Nord sur l'autre bord,
route perpendiculaire au cap que nous devrions prendre,
pour soulager bateau et équipage.

Bien évidemment, la mer s'est formée,
le bateau tape, gite, 
et tout cela ne me plait guère !

Mais comme je le dis souvent,
nous sommes dedans,  
alors pas la peine de se lamenter, acceptons,
et réagissons.

J'ai réduit de beaucoup la voilure,
le bateau s'équilibre, la barre et le pilote sont dans l'axe 
du bateau, et l'ensemble ne souffre pas.

Nous subissons une fine pluie transperçante 
qui va durer une partie de l'après-midi,
ainsi qu'une partie de la nuit.

A l'aube du quatrième jour,
( aucun rapport cinématographique )
je fais le point:
la mer s'est adoucie, le vent a suivi,
toujours plein Est,
tout est plus confortable.

Ma question est alors:
cap au Sud, ou cap au Nord ?

Les prévisions météo indiquent, vers le Nord,
un vent presque nul sur plus de deux jours.
Vers le Sud, le vent, toujours Est,
m'éloigne de mon cap.

Dans un cas comme dans l'autre, 
est-ce que je pourrais le rattraper ? ?
Le doute m'envahit.
L'inexpérience d'une telle situation
pour une navigation avec de telles distances
et de longues journées me fait douter.

Pourtant, c'est bien dans ces circonstances
que le rôle du " Capitaine " devient important:
prendre une décision, de préférence la bonne.

Plan B:
Au départ, c'était simple, nous allions à Porto !
Alors: pas de plan B de prévu !

Au fil des jours, il faut bien l'admettre maintenant,
les prévisions deviennent moins précises,
peu précises . . . voire fantaisistes.
D'autant, qu'avec tous ces bords tirés,
( la fameuse longue route )
il m'est obligatoire de ne me fier qu'au temps qu'il fait,
et qu'à la direction réelle des vents,
constatés sur place. 

Le plan B consistera,
si je ne peux pas remonter plus au Nord,
à moins de vouloir visiter l'Irlande,
de partir SE, et d'essayer de rallier, au mieux,
le port de Peniche, au dessus de Lisbonne.
Ensuite, en trois semaines, nous pourrons rejoindre Porto. 

Voila où nous en sommes, le Mardi matin.

La mer est belle, le vent 15 / 18 Nœuds, toujours Est,
nous sommes sur un long bord Sud.

Je prends le pari que, plus au Nord,
le vent tournera NE, voire NNE,
ce qui nous fera naviguer au près, voire au près bon plein,
pour reprendre du cap NE, vers Brest.

Le vent, en ce Mardi, baisse encore:
sous voiles, nous ne sommes plus qu'à 2 Nœuds.
Je décide de dégourdir les bielles,
faire du cap, légèrement NE,
sous voiles et moteur, à 1000 t/mn,
3, 5 Nœuds de vitesse.

Ce mardi est un tournant dans notre navigation.

Deux ou trois petites choses à faire:
un rivet de l'arceau du bimini a sauté: il faut réparer;
la fermeture d'un tiroir est à revisser;
idem pour la première marche de la descente 
dans le carré.
Tout cela est fait.

S'ajoute la prise d'un poisson,
vite préparé pour être mangé cru.

Une douche chaude en extérieur.

Une grosses assiettée de pâtes - ail - fromage - saucisson.

L'équipière Brigitte ose un repas de fruits,
qu'elle réussit à garder.

Le spi est rangé sur le pont; je prépare le solent
en vue de notre arrivée,
les GRIBS annonçant 40 Nœuds de vent
( 74 Km /h ) pour Dimanche.

Jour de pétole bienvenu.

Ce Mardi est vraiment un tournant, tout comme le vent.

Dans la nuit de Mardi à Mercredi,
le vent a tourné NNE, la mer est belle.

Au petit jour, je grée le spi
qui tiendra 18 heures, reprenant du cap Est.
Nous prenons un gros grain
qui a l'avantage de laver le spi.

La mer se forme par moment,
puis s’apaise, comme le vent.

Au matin du Vendredi, le vent vient un peu plus du Nord,
nous sommes presque en vent de travers,
cap au 90 °.

Nous savons que l’option choisie était la bonne.
Merci Éole !
(Je l'ai vraiment remercié haut et fort.)

D'autres poissons se font attraper,
qui subissent le même sort que leur congénère.

Brigitte, décontractée, lit, bronze et mange.

En parlant de lecture, savez-vous quoi ?
Je relis "La longue route" de Bernard Moitessier,
Jean-Louis nous l'avait offert lors de notre départ
de Toulon, il y huit ans déjà.

Samedi, vent de travers, 
mer formée et surventes,
suivi de calme . . .
sur le même rythme que le Vendredi.
Nous ne sommes plus pressés,
nous réduisons les voiles,
pour en remettre un peu plus tard . . .

Sur le rail de navigation des cargos.
Nous approchons des côtes.


C'est gros !
 Le plus long repéré sur l'AIS
( Automatic Identification System )
était un pétrolier de 300 mètres.
























Nous sommes heureux que les prévisions météo
( 40 Nœuds de vent )
ne se soient pas avérées.

Dimanche, à 1 h 30,
l'ancre est jetée dans le port de Leixoes,
à 2 Milles de Porto,
après 9 jours et 6 heures de navigation.

Nous ne sommes pas peu fiers !


§§§§§§§§§§§§§§§§§§


Un petit mot de l’Équipière.

Je tiens à vous faire savoir à quel point
j'ai pour le Capitaine une admiration sans borne.
( Je stipule que je ne parle que de navigation ! )

Compte tenu d'une navigation qui s'est faite
plus "au jugé" que par rapports aux prévisions,
il a su, par connaissances autant que par intuition,
faire face à ce qui s'est présenté.

Merci.
L'expérience a été de qualité.



2 commentaires:


  1. Pierre Vigna
    07:12 (il y a 5 heures)

    À moi


    Je ne le ferai pas en latin mais...

    Sgrogneugneu... Il y a des traversée plus faciles que l'édition d'un commentaire sur un blog!
    Une fois de plus, au moment de publier le mien, après de longues minutes "littéraires" à en faire pâlir Victor Hugo lui même, POUF plus rien...
    J'enrage. Je vais essayer de retrouver mes mots mais je ne promets rien!
    Pierre

    Or donc disais-je:

    Chapeau capitaine! Et je n'oublie pas le (la) valeureux (se) mousse Brigitte...
    Moi qui n'ait jamais connu comme traversée que celle de la rade de Toulon ou de la baie de Carqueiranne je m'incline devant cette superbe navigation transocéanique.
    Je ne retiendrai pas mes navigations africaines qui tenaient plus de la crise adolescente que d'une expérience maritime malgré les eaux exotiques et la météo équatoriale.
    Il faut avoir connu les longues heures passées au fond du cockpit à oublier un haut-le-coeur, celles où l'on découvre que l'horizon est aussi courbe vu du milieu que du bord, les affres de ces nuits où chaque bruit sur l'eau évoque un cétacé qui sonde, pour apprécier ce récit "technique" où apparaissent entre les mots ces moments subtils et délicats de doute et d'interrogation...
    Bref vous le fîtes! Et pas qu'un peu.
    Bravo à l'équipage et au navire, merci Eole!
    Vous voilà donc en Europe, même si les Açores c'est aussi l'Europe, comme la Guyanne, les Antilles, la Nouvelle Calédonie ou la Réunion, si proches de nous qu'on pourrait se saluer de la main en montant en haut du mât.
    A bientôt pour le récit de cette traversée vécue par le matelot Brigitte...
    Celui d'Armand nous a comblés.
    A bientôt.
    Pierre

    PS: Je n'ai bien sûr pas retrouvé ma verve dans cette deuxième édition, Victor Hugo en sort grandi et ma plume amoindrie. Ca m'apprendra à faire confiance à Google pour poster sur un blog! Vive le copié/collé salvateur!


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  2. Sinon j'ai fait quelques calculs:

    Si je compte bien 1005 milles en 9jours et 6 heures cela fait une moyenne de 4,527 noeuds... Pas mal!


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